Si le numérique amplifie le cercle vertueux de l’annotation, il le transforme aussi de manière profonde. Certes, mes annotations numériques se retrouvent sur tous les livres numériques que j’ai achetés, mais en même temps elles ne m’appartiennent plus. Les annotations qui enrichissent les livres sont aujourd’hui gérées par les plateformes de distribution. Si je change de plateforme, j’aurai du mal à récupérer non seulement mes livres, mais surtout tous les enrichissements que je leur ai adjoints. Le cercle vertueux de l’annotation se développe dans une situation de complète dépendance à des infrastructures techniques et économiques dont la pérennité n’est pas acquise. Et même si j’ai confiance dans le fait que les grands distributeurs de livres numériques résisteront au temps qui passe, les modèles qu’ils proposent aujourd’hui sont centrés sur l’idée que les livres que j’achète et les annotations que je produis sont associés à mon profil d’une manière non transmissible.
Le paradoxe de cette évolution technologique est que mon grand-père ne pourrait pas aujourd’hui me donner sa bibliothèque numérique annotée.
Il nous faut lutter pour cette situation change.
Nos annotations numériques doivent nous appartenir. Nous souhaitons pouvoir les sauvegarder, les importer, les transmettre en toute liberté, indépendamment des plateformes que nous choisirons pour lire nos livres. En pratique, nous devrions pouvoir les partager avec une personne ou un groupe selon des modalités que nous pourrions choisir, ou les garder privées et confidentielles, si nous souhaitons en profiter pour notre seul usage.
Prendre conscience de l’importance des annotations pour la lecture devrait nous faire prendre conscience de l’importance d’en encadrer l’usage et la circulation. Au moment même où la lecture devient massivement sociale, le futur du cercle vertueux de l’annotation est incertain. Au-delà des plaisirs immédiats de l’annotation partagée, espérons que nous saurons aussi jauger l’importance du temps long dans la transmission de tous ces marginalia qui constituent, parfois des siècles plus tard, la principale valeur d’un document.
Le cercle vertueux de l’annotation
Frédéric Kaplan
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