Pour les auteurs, cette nouvelle circulation des annotations et plus généralement de statistiques de lecture ouvre des perspectives nouvelles. J’ai moi-même pu faire, il y a quelques années, une première expérience dans ce domaine à l’occasion de la sortie de mon livre « La métamorphose des objets ». Le livre était associé à un système permettant de partager des commentaires associés à une page ou un passage particulier. Le lecteur du livre papier ou de sa version pour ordinateur, téléphone ou tablette pouvait ainsi poser une question, noter une remarque ou laisser un commentaire sur chaque page de l’ouvrage.
Certains chapitres furent très commentés, d’autres, pas du tout. Souvent, des échanges commencèrent à propos d’un point de désaccord ou d’un élément à éclaircir. Je m’impliquais dans ces discussions en essayant de répondre systématiquement aux lecteurs. Assez rapidement, le contenu textuel de ces conversations représenta quantitativement une portion importante comparée au livre lui-même. Le livre n’était ici qu’une amorce linéaire à de multiples conversations parallèles.
Quand la première édition du livre fut épuisée, l’éditeur me proposa d’en faire une seconde. Fort de la riche conversation que le livre avait suscitée, je décidai de changer profondément non seulement le contenu, mais surtout la structure du livre. Alors que dans la première version du livre, les chapitres se succédaient dans une apparente continuité, les traces des lecteurs m’avaient fait prendre conscience que le livre s’organisait en fait en trois parties véritablement distinctes à la fois conceptuellement et stylistiquement. Cette seconde édition fut véritablement un nouveau livre.
Aujourd’hui, les pratiques d’annotations restent le plus souvent privées et secrètes. Avec la lecture numérique, les annotations deviennent des éléments standardisés qui peuvent facilement circuler et s’agréger pour former des conversations. Ce bouleversement est susceptible non seulement de changer notre manière de lire, mais aussi de progressivement modifier la manière dont les auteurs écrivent. Il s’agit pour eux de se demander comment écrire quand – pour la première fois – on peut savoir comment on est lu ? Mais aussi quoi écrire quand la lecture devient sociale, quand chaque livre est potentiellement le début d’une conversation susceptible de prendre plus d’ampleur que le livre lui-même, quand une édition particulière n’est qu’une phase transitoire dans une trajectoire plus longue ?
Le cercle vertueux de l’annotation
Frédéric Kaplan
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